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     DÉCOUVERTES

     

    Outre le contrat de mariage de Marie-Jeanne sont apparus presque coup sur coup celui de ses parents - longtemps cherché en vain - et les testaments de sa mère et de sa grand-mère.

    Dans l'enregistrement des actes, le contrat entre Étienne Vayssié et Marianne Bosc est mentionné comme mariage d'Étienne Bouissy avec Marianne Bosc: il a fallu que la coïncidence des dates m'intrigue pour que je me reporte au registre du notaire... où se lit ce titre: Mariage de Bertrand Vayssié et de Marianne Bosc! Comme quoi on ne saurait se fier qu'avec prudence aux documents les plus officiels.

    D'UN CONTRAT L'AUTRE

    C'est un notaire de Cayriech, maître Miquel, qui a établi ce contrat. Il confirme l'existence du testament de Bertrand, rédigé par le même notaire, mais perdu parce que sans doute écrit sur des feuilles volantes. Il rappelle le fidéicommis dévolu à Anne Miquel, qui s'en acquitte à l'occasion du mariage en remettant à son fils les biens de son père. Elle lui donne aussi la moitié de ses propres biens, se réservant seulement une pièce de terre.

    Les parents de Marianne étant morts, c'est sa grand-mère, Antoinette Rouqual, et son frère Jean qui l'assistent et lui constituent une dot de 1 000 livres, que Jean paiera effectivement en plusieurs fois, partie en argent et partie en mise à disposition de terres pour quelques années.

    Prévoyante, Anne Miquel, la mère d'Étienne, s'est rendue à Puylaroque l'automne avant sa mort pour y faire établir son testament. Assez curieusement, il ne mentionne ni legs pieux ni dispositions concernant sa sépulture, qu'elle laisse à la discrétion de son héritier, c'est-à-dire "Étienne, son fils cadet, marié dans la maison". Elle semble surtout se préoccuper d'assurer le sort de son fils aîné, Pierre, "au cas où il ne se marierait pas",  ce qui est l'hypothèse la plus probable: il a alors passé quarante ans. Elle lui lègue une pièce de terre, du linge, et "un droit d'habitation dans la fourniol de la présente maison" - preuve que ce fournil existait déjà. Là encore, les aléas de la vie feront que la présence de Pierre resté célibataire assure une présence des plus utiles auprès de Marianne Bosc après le décès précoce d'Étienne.

    Et pour ce qui est du testament de Marianne, il est d'une brièveté extrême: elle se contente d'y léguer tous ses biens au seul fils qui lui reste, Jean Pierre, sans se préoccuper, contrairement à son mari, de messes pour le repos de son âme, et sans avoir l'air de penser que sa fille lui a laissé des petits-enfants. Faut-il voir là l'amertume d'une mère qui a vu mourir deux fils à la fleur de l'âge? Ou l'influence de son frère, Jean Bosc, lui a-t-elle transmis quelque chose des idées des Lumières? Je n'en sais évidemment rien. 

     

      

     

    MARIE-JEANNE  (post-scriptum)

     

    Le hasard, comme on sait, peut être bon prince -  surtout quand patience et longueur de temps lui font escorte. Bref, à force de chercher des traces d'une vente (à ce jour encore introuvables), je suis tombée sur le contrat de mariage de Marie-Jeanne. Il a été établi à Mouillac,  au printemps de 1798, donc quelques mois après le mariage (officiel mais probablement virtuel) de son frère Jean Pierre.

    Ce contrat est précédé d'un acte de vente rédigé le même jour par le même notaire: le père de Jean Bru vend à son fils la moitié d'une maison, un jardin et quelques terres. On apprend du coup que le futur époux de Marie-Jeanne était depuis environ quatre ans gagiste (ouvrier agricole) à Mouillac; c'est donc ainsi qu'il s'est constitué un pécule suffisant pour acquérir de quoi loger et nourrir sa famille. Et comme Jean Déjean Peyroutou signe l'acte en tant que témoin, il est permis de supposer qu'il était l'employeur de Jean Bru. Ce qui n'exclut pas que les Léris aient pu, eux aussi,  jouer un rôle dans le mariage: l'un d'eux a pour femme Marie Bru, la sœur de Jean.

    Quant à la dot de Marie-Jeanne, elle se compose d'une somme de 100 francs en argent, payable après le décès de sa mère, Marianne Bosc, de plusieurs terres à Mouillac, dont elle ne disposera également qu'après la mort de Marianne, terres évaluées à 1 000  francs, d'une coitte de plume, de draps, nappes, torchons selon l'usage, de deux brebis dont l'une avec son agneau, et de trois habits, un de rase bleue, un de burat noir et un de serge bleue. À cela s'ajoute un buffet fermé à clé, ne provenant ni de son père ni de sa mère, mais la valeur duquel elle a gagnée de son industrie. Quelle industrie? Elle peut avoir filé, tissé, travaillé comme servante ou s'être louée pour les travaux des champs.

    Sa mère étant décédée deux ans après elle, Marie-Jeanne n'a jamais pu toucher l'argent de sa dot ni en exploiter les terres. On comprend que Marie Bru, sa fille, cède ses droits à son oncle, certes moyennant compensation financière, mais probablement sans difficulté... Quant à lui, sans doute considérait-il comme essentiel de conserver la totalité des terres de ses parents.

     

     


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    MARIE-JEANNE

     

    Cette fille d'Étienne Vayssié n'a laissé dans le registre paroissial de Mouillac qu'une mince trace: elle est nommée comme marraine de son jeune frère Joseph en 1785. Mais on cherche en vain la mention de son baptême, si bien que j'avais imaginé que le curé  avait complaisamment accepté la petite Jeanne de cinq ans pour tenir son frère sur les fonts baptismaux et avait déformé son prénom...

    Il a fallu le testament d'Étienne, découvert sans le chercher, pour révéler l'existence de Marie-Jeanne. Le curé a-t-il oublié d'inscrire son baptême? L'espèce de brouillon qu'on lit à la fin de l'année 1784 peut donner à croire qu'il ne remplissait pas son registre au fur et à mesure, mais plus tard, de mémoire... incertaine:

     

    PERDUE ET RETROUVÉE

     

    Ou bien Marie-Jeanne a-t-elle été baptisée dans une autre paroisse?  J'ai exploré quelques registres des villages voisins sans rien trouver...

    Cependant le hasard (une erreur de cote aux Archives!) m'a permis d'en savoir plus sur elle: il se trouve que sa fille, Marie Bru, a cédé en 1825, par devant notaire, à son oncle Jean Pierre Vayssié, de Mouillac, les droits qu'elle pouvait avoir sur l'héritage de sa grand-mère Marie-Anne Bosc; et bien entendu le notaire indique le domicile de cette Marie Bru: Vaylats, dans le Lot.

    Il ne reste plus qu'à se plonger dans les registres d'état civil de Vaylats. Comme beaucoup d'autres, ils sont lacunaires pour la période révolutionnaire, si bien qu'ils ne fournissent pas la date du mariage entre Marie-Jeanne Vayssié et Jean Bru, mais ils révèlent que Marie-Jeanne est morte en 1815 à l'âge de quarante ans, ce qui situe sa naissance vers 1775.

    Ils permettent de savoir que sa fille aînée, Marie, née en 1802, épouse en 1832 un Jacques Delpech dont elle a des jumelles, Marguerite et Marie, en 1834, puis un fils, François, en 1837.

    Marie-Jeanne a eu par la suite une autre fille, Marie, qui n'a vécu que trois jours, puis un enfant enregistré  comme un garçon prénommé Raymond, mais qui meurt comme Raymonde soixante-trois ans plus tard; il doit s'agir d'une erreur du secrétaire de mairie: il en a commis une autre de la même espèce qui a été rectifiée par un jugement, comme l'indique une mention en marge. Viennent enfin un fils, Jean, sans doute parti vivre ailleurs puisque n'apparaissent ni son mariage éventuel ni son décès, et une dernière fille, Jeanne, née en 1814 et décédée en 1815 quelques mois après sa mère. 

    On peut supposer que le mariage de Marie-Jeanne Vayssié avec Jean Bru a été arrangé par l'intermédiaire des Léris, dont quelques-uns vivaient dans le même hameau - Larché - que les Bru: le parrain d'Étienne Vayssié n'était-il pas Étienne Léris, originaire de Vaylats, et dont le frère, Géraud, semble bien être rentré dans son village? 

     

     


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     ÉTIENNE VAYSSIÉ (1746 - 1790)

     

     

                                                         FRÈRES, ONCLE, NEVEU

     

    Qu'on en soit propriétaire ou tenancier, la terre ne se divise pas; elle ne saurait nourrir un nombre exponentiel d'individus. S'il n'est pas question de droit d'aînesse chez les paysans d'avant la Révolution, on pratique ce qu'on appellera encore en 1950 un "arrangement", avec ou sans contrat notarié.

    Les filles quittent la maison en se mariant, généralement entre vingt et trente ans, à moins d'être héritières uniques. Les registres que j'ai parcourus ne mentionnent que très rarement le décès d'une "fille innupte", c'est-à-dire d'une femme demeurée célibataire.

    Quant aux fils, s'ils se marient, un seul peut prendre, avec sa femme et leurs enfants,  la suite des parents. Les autres doivent s'établir à l'extérieur. Épouser une fille unique, ou une veuve sans enfants, constitue évidemment une aubaine, et l'on voit parfois des actes de mariage entre un garçon de vingt-cinq ans et une femme de quarante. Ce n'était pas le cas de Bertrand Vayssié puisque sa femme, Anne Miquel, était la fille d'un brassier, et pourtant il avait à Mouillac le statut de laboureur, ce qui semble supposer soit qu'il ait racheté une tenure soit qu'elle lui soit échue en héritage.

    Il arrive aussi que l'un des fils ne se marie pas et reste avec son frère et sa belle-sœur; c'est ce qui s'est apparemment passé dans le cas d'Étienne et de Pierre. Mais pourquoi est-ce le cadet qui se marie et non l'aîné? Mystère... à moins que l'amour ne s'en soit mêlé.

    Ce qui est certain c'est que Pierre apparaît constamment à Cavaillé auprès de son frère puis de ses neveux, et qu'il décède "garçon". La mort prématurée de leur père les a-t-elle soudés plus que d'autres? L'un avait deux ans, l'autre cinq. La mort d'Étienne au moment où éclatait la Révolution et alors que son fils aîné n'avait pas dix-huit ans a-t-elle définitivement engagé Pierre?

    En tout cas il est catalogué dans les registres d'état civil comme "Pierre Vayssié, oncle" pour le distinguer de son neveu et filleul qui porte le même prénom; on aurait presque envie de sourire des contorsions stylistiques de l'acte qui enregistre le décès du neveu - à vingt-deux ans -, décès déclaré par l'oncle Pierre et noté par un Jean Bosc, qui est également son oncle, du côté maternel - et que par ailleurs ses toutes nouvelles fonctions d'officier d'état civil encombrent d'une attention scrupuleuse:

        "Aujourd'hui vingt-trois octobre [en marge: je veux dire vingt-trois vendémiaire] mil sept cent quatre-vingt-quatorze [au-dessus: vieux style] troisième année républicaine, (...) par-devant moi, Jean Bosc, officier public (...), sont comparus Pierre Vayssié, cultivateur, âgé de soixante ans, et Pierre Couderc, cultivateur, âgé de vingt-deux ans (...), le premier oncle paternel de Pierre Vayssié, le second proche voisin et cousin dudit Vayssié âgé de vingt ans, lesquels Pierre Vayssié, oncle, et Pierre Couderc, cousin, m'ont déclaré que ledit Pierre Vayssié, neveu, est mort hier à dix heures du soir en son domicile au lieu de Cavaillé (...); et j'en ai dressé le présent acte que Pierre Couderc a signé avec moi, non Pierre Vayssié, oncle du décédé, pour ne savoir de ce requis (...)."

    (Pierre Couderc a épousé Antoinette Bosc, fille de Jean Bosc, cousine de "Pierre Vayssié neveu").

     

     

      

                                         UNE VIE OBSCURE ET BRÈVE

     

    Il n'y a pas d'autre événement visible dans l'existence d'Étienne Vayssié  que les étapes familiales ordinaires. Il tient son prénom, sans exemple dans la lignée, de son parrain, le maçon Étienne Léris, qui mourra à vingt-cinq ans, moins d'un mois avant Bertrand Vayssié. Il a pour marraine la belle-sœur de son père, femme de Raymond Vayssié, de La Salle.

    Sa femme, Marie-Anne (ou Marianne) Bosc, est la fille d'un laboureur de Perrufe, et compte parmi ses frères le Jean Bosc qui sera, après la Révolution, le second officier d'état civil de Mouillac, évidemment parce qu'il est l'un des quelques Mouillacois qui savent écrire: témoin au mariage de sa sœur, ainsi que Pierre, le frère d'Étienne, il est seul à signer avec les deux prêtres présents, le curé de Mouillac et le vicaire de Mazerac où, semble-t-il, la famille Bosc avait des attaches.

    Des cinq enfants du couple, quatre mourront prématurément, les deux filles tout enfants, du vivant de leur père, et deux des garçons après sa mort.

     

          ÉTIENNE VAYSSIÉ  

     

    Mort en 1790, à quarante-quatre ans (et non quarante-huit comme l'écrit le curé), Étienne a-t-il saisi quelque chose de la Révolution? Elle ne paraît pas avoir troublé Mouillac outre mesure avant 1792: jusqu'à cette année-là, c'est toujours le curé qui rédige les actes d'état civil; ensuite un officier élu par le Conseil de la Commune prend le relais, officier pour le choix duquel à Mouillac les possibilités sont évidemment limitées: un petit nombre d'habitants seulement maîtrise l'écriture (mais moins l'orthographe...); en 1801, un maire assisté d'un secrétaire de mairie (qui se trouve être l'agent élu en 1793) le remplace. 

     

     

     

                                   UN ÉCHO DE LA RÉVOLUTION

     

    En 1967, un propriétaire de résidence secondaire, curieux d'histoire locale, interrogea l'un des plus vieux habitants de Mouillac, son voisin, et dactylographia leur entretien.

    "Qu'est-ce qui s'est passé ici à cette époque-là, vous en avez souvenir?

    - Oui, monsieur. Ces souvenirs,  je les ai pour avoir entendu dire à mon père qui tenait ces renseignements de son père et de sa grand-mère.(...) Le grand-père était mort en 1850, et sa veuve était née pendant la Révolution française en 1792; son mari avait douze ans de plus et se rappelait très bien la Révolution. (...)

    - Alors, à la Révolution, quelle a été l'attitude des gens de Mouillac?

    - La population de Mouillac comme des environs était très chrétienne, et même très catholique et pratiquante. Tout le monde aurait été vexé de l'attitude anti-religieuse de la Révolution et surtout de la Terreur, ce qui a laissé un très mauvais souvenir de la Révolution. (...) Alors donc, en 1789, le curé de la paroisse de Mouillac s'appelait monsieur l'abbé Lanusse*; il a été obligé de se cacher et d'exercer son ministère clandestinement.

    - L'église était fermée?

    - Oui. Il paraît qu'on disait la messe dans des maisons, très souvent dans la maison Bouissy-Tillaraou de Cavaillé.

    - Dans la maison où nous nous trouvons?

    - Oui, oui. On mettait un guetteur de chaque côté du village pour voir si quelqu'un arrivait de Caylus ou de Puylaroque, et alors on célébrait la messe. (...) Le curé s'est caché je ne sais où, là où il pouvait; et on dit que notre arrière-grand-mère avait été baptisée dans une cabane dans les bois de Pech d'Auriol. Voilà ce que j'ai toujours entendu dire. (...)

    - Combien de temps est-ce que le prêtre s'et caché, vous ne savez pas?

    - Oh! peut-être, je ne sais pas, trois ou quatre ans.

    - Aussi longtemps que ça?

    - Oui, oui, trois ou quatre ans.

    - Et vous ne savez pas chez qui il habitait particulièrement?

    - Non, non, on ne le disait pas.

    - Mais ça aurait pu se dire depuis? Parce qu'il n'habitait pas dans les bois, sans doute il allait habiter dans des familles?

    - On ne sait pas. Alors, on a fait quand même quelques bonnes choses, quelques bonnes réformes. On a vendu les biens de l'Église. Il y avait un champ de quatre hectares situé près de l'église. (...) Ça s'est vendu, je ne sais à qui. Seulement ce champ appartenait à la famille Besse-Cayla, de Cavaillé, après 1800."

    * En 1789, l'abbé Lanusse n'était encore que vicaire à Vaylats (46), mais il n'est pas impossible qu'il ait été curé de Mouillac à partir de 1792.

     

             ÉTIENNE VAYSSIÉ 

             Cabane en pierre sèche, telle qu'on en rencontre dans les bois de Mouillac.

     

     

     

     


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