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    VOUS AVEZ DIT CARACTÈRE? 

     

     

    Le dépouillement des registres de notaires demande certes beaucoup de temps, mais réserve parfois des aperçus qu'on n'aurait osé espérer. Sous le titre a priori anodin de "Division et partage des biens entre Pierre Miquel et Catherine Faugère d'une part, et Bertrand Vayssié d'autre", ne découvre-t-on pas une image quelque peu mouvementée de l'installation à Mouillac et la confirmation du caractère qu'on était tenté d'attribuer à Bertrand comme à sa femme?

    De quoi s'agit-il en effet?

    Anne Miquel et Bertrand Vayssié se sont mariés à l'automne 1738. Dans le contrat de mariage, Pierre Miquel donne à sa fille la moitié de ses biens, à l'exception de ceux qu'il possède à Caylus et à Lalbenque, sans qu'il soit question de contrepartie. Or, l'acte de partage dressé en 1741 par un notaire de Puylaroque révèle que, depuis le mariage, Pierre Miquel, sa femme, leur fille cadette Marie et leur beau-frère Jean Grimal habitent "chez les nouveaux mariés". Jean Grimal, veuf de Jeanne Faugère, a, le 24 juillet 1741, fait donation de ses biens à son beau-frère à condition que celui-ci l'entretienne tant qu'il vivra, "ne faisant avec lui qu'un même pot, feu et résidence". Mais le fait est que ce sont Anne et Bertrand qui logent et nourrissent l'ensemble de la belle-famille. Il semble que la donation du 24 juillet joue le rôle de la goutte de trop: le 29 juillet, Bertrand déclare qu'ils "ne peuvent plus continuer de vivre ensemble" et la séparation a lieu. Puis, Pierre Miquel "ayant pris l'entière récolte tant des biens donnés [à Bertrand et Anne, évidemment] que de ceux de feue Jeanne [Faugère]", "ledit Vayssié et son épouse n'étant pas contents" réclament le partage des biens, partage que le notaire enregistre le 4 décembre 1741.

    Où il apparaît donc qu'après avoir renvoyé de chez lui ses beaux-parents, Bertrand a tenu, sans doute après des tractations qui ont occupé l'été, à clarifier radicalement la situation.

    Est-ce l'une des raisons pour lesquelles il a laissé un tel souvenir que son prénom est resté attaché à ses descendants? Est-ce celle qui l'a poussé à choisir comme parrain de son second fils le maçon Étienne Léris plutôt que son beau-père?

    En tout cas son caractère ne semble pas le céder en fermeté à celui que révélera Anne Miquel en faisant après sa mort réaliser l'inventaire de ses biens. 

     

                                     La famille d'Anne Miquel

    CARACTÈRE

     

     

     


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                                                      UN INVENTAIRE

     

    Bertrand Vayssié mort à quarante-et-un ans en décembre 1748, que son décès soit dû à un accident ou à une maladie foudroyante, n'a d'évidence pas eu le temps de faire un testament. En effet, en mai 1753, soit plus de quatre ans après, Anne Miquel, sa veuve, fait dresser un inventaire des biens qu'il a laissés.

    Pourquoi?  Veut-elle clarifier la situation alors que le père de Bertrand est mort l'année précédente?  A-t-elle eu vent de critiques sur la façon dont elle gérait l'héritage de ses deux fils survivants?  À la lecture de l'acte rédigé par le notaire de Puylaroque, on a bien l'impression qu'elle entend se justifier. Elle commence par déclarer qu'il s'agit de "ne point confondre ses biens avec ceux de feu son mari" et de "prévenir l'égarement des meubles et effets délaissés par ledit Vayssié son mari".  Elle rappelle sa "qualité de mère tutrice des droits de la personne de Pierre et Étienne Vayssié ses enfants". Elle a fait convoquer par "exploit" non seulement le notaire, mais encore Raymond Vayssié, frère de Bertrand - qui s'est fait représenter par sa femme, Jeanne Vidaillac -, Pierre Miquel, "aïeul maternel" des enfants, c'est-à-dire son propre père, et le beau-frère de Bertrand, Jean Artoux, mari de Jeanne Vayssié. Deux témoins sont également présents, Antoine Besse Dalot et son fils Pierre, qui signent. En outre elle souligne qu'elle entend utiliser "à l'usage des enfants" ce qui reste de vêtements, soit une veste de toile et quatre chemises, ainsi que "trente bottes de laine".  Enfin, conduisant le notaire et les témoins dans l'écurie, elle fait observer que les deux bœufs qui s'y trouvent sont "de plus grand prix que les trois vaches que ledit Vayssié délaissa à son décès": serait-ce là l'origine de rumeurs d'une gestion contestable? 

     

    INVENTAIRE     INVENTAIRE

     

     

    Pour le reste, ce qu'on remarque dans cet inventaire, c'est la présence de plusieurs ustensiles de cuivre, un seau, un chaudron, une vasque, une lampe, dont le poids est chaque fois précisé; de meubles en bois de noyer, deux coffres fermant à clé, dont l'un est "presque neuf", et deux lits, dont l'un n'est qu'un "châlit sans menuiserie" garni d'une paillasse, mais entouré de rideau de "serge rouge", tandis que la garniture de l'autre est minutieusement décrite: édredon et matelas fourrés de plumes d'oie, couette piquée, draps, dessus de lit, rideaux. Et parmi les outils, si certains - "foussoirs à foussoyer le millet", "essieu de fer", "tonnelets"... - sont évidemment à usage agricole, se distingue un ensemble formé d'une "bésagude" (en français "besaiguë") qui est un instrument de charpentier*, avec "tous les outils apprêtoires (?)". Peut-on en conclure que Bertrand avait au moins commencé la construction ou l'amélioration d'une maison? Deux maçons résidaient alors dans le même hameau, dont l'un, Étienne Léris, mort dans la même période que Bertrand, était le parrain d'Étienne Vayssié. Peut-être même le coffre "presque neuf" et le lit menuisé étaient-ils l'œuvre de Bertrand...

     

    INVENTAIRE

     

    De l'inventaire, il ressort encore qu'aucune pièce de vaisselle n'est mentionnée: sans doute représentaient-elles toutes l' apport d'Anne au ménage. Dans l'équipement de la cuisine, cependant, appartiennent à l'héritage de Bertrand  "un pendant de feu", autrement dit la crémaillère, "deux landiers", ou chenets, une "petite salière bois de noyer"** et d'un "coutre à deux mains à couper le pain",

    Quant au cheptel, en plus des bœufs, il comporte quatorze brebis et une chèvre.

    Le tout est évalué à 220 livres. Ce n'est peut-être pas si peu, quand on songe que les biens remis à Bertrand par son père à l'occasion de son mariage étaient estimés à 1 000 livres.

     

    * Wikipédia:

    besaiguë /bə.ze.gy/ féminin

    1.  (Charpenterie) Outil de fer, taillant par les deux bouts, dont l’un est en bec-d’âne et l’autre en ciseau : il sert à dresser et réparer le bois de charpente et à faire les tenons et mortaises.

    INVENTAIRE Image tirée du Petit Larousse 1905.

     

    ** Il s'agit plutôt d'un meuble: une sorte de chaise dont l'assise était un coffre à sel. "Petite" signifierait-il que Bertrand l'avait faite à la taille de ses fils?

    INVENTAIRE

     

     


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    BERTRAND VAYSSIÉ (1707-1748)

      

     

                                                 UN ACTE DE BAPTÊME

        

                   

          "Le seize août mil sept cent sept est né Bertrand Vayssié, fils légitime et naturel de Pierre Vayssié et de Madeleine Delrieu, mariés, du masage de Poussou, et a été baptisé le vingt-et-un août; parrain, Bertrand Ramond, de la ville de Caylus; marraine, Cécile Lestang, de la paroisse de Saint-Symphorien; présents, Pierre Vayssié et Antoine Poux (?), tous deux de la paroisse de Caylus; en foi de

                                                           (illisible) prêtre et vicaire de Saint-Symphorien."

         

                Le registre paroissial avertit un peu plus loin qu'il y a eu du dérangement à la suite de mutations de curés. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner que ce soit un prêtre  autre que le curé titulaire de  la paroisse qui procède à la cérémonie, ni que le baptême ait dû attendre cinq jours après la naissance, alors que l'usage dominant est d'y procéder le jour même. Plus curieux est le choix (ou peut-être non-choix?) des parrain et marraine: tous les autres enfants de Pierre sont portés sur les fonts baptismaux par leurs grands-parents, par leurs frères et sœurs aînés, ou par des voisins de La Salle. Si le parrain de Bertrand, mari d'Anne Vayssié,  est l'oncle par alliance de son père, je ne sais quel lien peut avoir la marraine avec les Vayssié. Quant aux témoins, on s'interroge sur ce Pierre Vayssié de la paroisse de Caylus: est-ce une erreur du prêtre? ou s'agit-il d'un des demi-frères de Jacques Vayssié?

                À croire que la singularité devait être la marque de Bertrand!

        

     

     

                    

                                                              QUITTER LE NID 

     

              De La Salle à Mouillac, il n'y a pas loin. Quand et dans quelles conditions Bertrand décida-t-il de quitter un village pour l'autre? À La Salle peut-être n'aurait-il été que brassier au service de son frère aîné ou des Poussou. À Mouillac quel était son statut? Ni son acte de mariage ni les actes de baptême de ses fils ne le précisent; mais l'acte de mariage de l'un de ses neveux à La Salle en 1748, soit quelques mois avant sa mort, le qualifie de laboureur, ce qui suppose que les conditions lui avaient été favorables et qu'il avait su en tirer parti.

     

             

     

     

               Mouillac est un ensemble de hameaux, aujourd'hui dépeuplé (moins de cent habitants), mais qui, au XVIIIème siècle, était relativement prospère. C'est dans le hameau de Cavaillé que s'établit Bertrand Vayssié, alors que ses beaux-parents sont installés au Pech (ou Pech de Fourques).

     

              

     

     Il y laissera une empreinte si durable qu'au XXème siècle encore, la maison où vivront ses descendants sera connue sous le nom d'oustal de Bertron - maison de Bertrand - et que son prénom leur servira de surnom. 

     

                                                        VIVRE, MOURIR...

     

     

    Le mariage de Bertrand Vayssié et d'Anne Miquel est célébré à La Salle le 20 novembre 1738. Il a donc trente-et-un ans, elle doit en avoir environ dix de moins: une lacune dans les registres de Mouillac a fait disparaître son acte de baptême, mais son acte de décès en 1785 lui accorde environ soixante-huit ans, ce qui place sa naissance aux alentours de 1717. Elle est fille d'un  brassier, et peut-être le laboureur Pierre Vayssié avait-il plus de facilités pour organiser les noces - ou peut-être y tenait-il: le fait est que tous ses enfants se sont mariés à La Salle, même si ses filles ont ensuite résidé ailleurs.

     

            

     

           Le couple a trois fils. L'aîné, Pierre, demeure célibataire. Le second, Étienne, perpétuera la lignée à Mouillac. Le dernier, également prénommé Pierre, meurt à dix mois, le même jour que son père. C'est ici que l'imagination s'enflamme: l'enfant a-t-il couru un danger (chute dans un puits, écroulement d'un mur en construction ou d'un poutre, effondrement d'un pile de bois, approche imprudente d'un cheval ou d'un bœuf...) et son père est-il mort avec lui en voulant le sauver? Ou plus banalement une même maladie les a-t-elle frappés ensemble? Ou une intoxication? Ou la famine? Le fait est qu'il y a une telle concentration de décès dans le seul hameau de Cavaillé en un peu moins de deux mois en cette fin de 1748 que le curé est obligé, faute de place, de reporter une partie des actes dans le registre de 1749. Parmi les morts, Étienne Léris, maçon - et parrain d'Étienne Vayssié.

         

             "Le cinq [décembre 1748] mourut Bertrand Vayssié du village de Cavaillé, âgé d'environ quarante ans, et fut enseveli le six au tombeau de ses aïeux par moi soussigné; présents, Géraud Léris, maçon, de Vaylats, signé, et Barthélémy Alaux, non signé pour ne savoir, de ce requis par moi,

                                                                                      Frayssinet curé   Léris"

      

    Le "tombeau des aïeux"' (ou "de ses prédécesseurs") semble n'être qu'une formule un peu pompeuse qu'affectionne le curé et qu'effectivement il emploie à plusieurs reprises. Bertrand Vayssié n'avait à Mouillac que des ancêtres maternels.

    Pour l'enfant de dix mois, le curé se contente, selon une habitude répandue dans ces anciens registres, d'un ajout en marge de l'acte de baptême:

      

      "obiit die 5e xbre" : "mourut le 5 décembre".

     

     

     

                                    ... ET LAISSER SON EMPREINTE.

     

     Au milieu des années 1950 encore, nous habitions "a co de Bertron" (transcription phonétique), c'est-à-dire "dans la maison de Bertrand, chez Bertrand". Il me semble bien - mes souvenirs sont flous - qu'une fois au moins j'ai demandé une explication et qu'on n'a pu m'en fournir: on avait toujours dit comme ça, voilà tout. Quand le prénom de Bertrand est apparu dans la lignée de mes aïeux, un peu de lumière s'est fait; c'était forcément de lui que la maison tirait son nom patois. Mais pourquoi?

    Les registres montrent que ce prénom s'est également attaché à ses descendants. Il arrive que son fils Étienne soit par erreur appelé Bertrand; ainsi dans l'acte de décès de sa fille Jeanne, morte à six ans en 1786, celui-ci est successivement Bertrand puis Étienne. La mention "dit Bertrand" se trouve accolée tantôt au prénom, tantôt au nom de son petit-fils Jean Pierre, et de ses arrière-petits-enfants; à la fin du XIXème siècle, le même Jean Pierre Vayssié devient Bertrand Vayssié dans l'acte de décès de l'un de ses fils, Jean Antoine, à Lalbenque.

    À quoi attribuer une telle persistance? À la rareté de son prénom à Mouillac lorsqu'il s'y installe? S'y est-il fait remarquer par son caractère? Est-ce lui qui a fait construire, ou du moins commencer la maison? Il y a ces Léris, Étienne et Géraud, maçons de Vaylats, dont l'un est le parrain de son second fils et l'autre témoin à sa sépulture... Les circonstances de sa mort et de celle de son plus jeune enfant le même jour étaient-elles de nature à frapper durablement les esprits? Je n'ai pas de document qui permette de trancher. 

     

     

      


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